Monthly Archives

mars 2020

Le maire, l’architecte-urbaniste et le citoyen. La petite ville, terreau d’expérimentations avec les habitants

À la veille des municipales, nombreuses sont les grandes villes à avoir mis la participation au cœur des programmes. Loin des métropoles, les élus de petites villes font face à d’autres enjeux, entre perte de compétences et manque de moyens humains et financiers. Une opportunité pour les professionnels du projet urbain, qui ont toute leur place à jouer pour proposer des méthodes plus collectives !

Par leur responsabilité dans l’élaboration des documents d’urbanisme et les dépôts de permis de construire, les élus locaux jouent un rôle majeur dans les schémas d’acteurs du projet urbain, même s’ils confient parfois l’aménagement technique de certaines opérations à des Sociétés d’Économie Mixtes (SEM) ou à des sociétés privées. Dans les petites villes, commanditaires du projet urbain, les élus constituent des maîtrises d’ouvrages « occasionnelles » (Mariolle et De Gravelaine, 2001) par rapport à des maîtrises d’ouvrages professionnelles « expérimentées et organisées » des grands centres urbains. Les compétences qu’ils doivent mobiliser sont plurielles et d’autant plus spécifiques que le projet urbain implique les habitants, pratique assez exceptionnelle jusqu’au début des années 2000.

 Repenser le rôle de l’élu dans un cadre législatif de plus en plus contraint

Réaliser un projet urbain participatif ne va pas toujours de soi pour les élus locaux de petite ville : il est nécessaire de repenser leurs rôles, dans un cadre législatif de plus en plus incitatif à l’égard de la participation citoyenne. Or, dans un contexte d’affaiblissement de leurs moyens humains, financiers et de transfert de compétences vers des échelons supérieurs, il semble que les élus laissent une plus grande autonomie d’ingénierie de projet aux technostructures intercommunales, mais aussi aux consultants telles que les agences d’architecture et d’urbanisme.

À partir de l’expérience de l’agence d’architecture et d’urbanisme nantaise « Atelier du Lieu » (spécialisée en participation citoyenne), notre thèse1 a cherché à comprendre comment le projet urbain était préparé, porté par l’élu de petite ville, tout en analysant la place qu’y prenaient les habitants. Notre posture, en situation de participation observante2 comme architecte-urbaniste, nous a permis de nous immerger à la fois dans le dispositif participatif et au cœur du projet urbain.

 

Au cœur du développement durable, un nouveau souffle pour la participation citoyenne

La notion de participation citoyenne en urbanisme, émerge en France dans le cadre des « luttes urbaines » des années 1960-1970 (Bacqué et Gauthier 2011), mais connaît un essoufflement pendant les deux décennies suivantes (Paoletti 2007). Les mouvements d’initiatives locales se délitent avec le départ des couches moyennes des « nouveaux quartiers » périphériques, et la « notabilisation » des leaders associatifs ; la politique de décentralisation instaurant une « démocratie de proximité » signe le renoncement de la gauche à revendiquer un système politique plus participatif (Bacqué et al. 2005 ; Hatzfeld 2011). Avec la montée en puissance des enjeux de développement durable, la question de la place du citoyen-habitant dans l’aménagement connaît un regain d’intérêt à partir des années 2000, qui se traduit par la mise en œuvre d’un ensemble de textes réglementaires préconisant le développement de telles démarches en amont des projets urbains3.

Parallèlement et de ce fait, l’activité scientifique et les projets autour de cette question trouvent un nouvel essor4. Ce regain d’intérêt pour la participation citoyenne dans la communauté scientifique et chez les professionnels de l’urbanisme reflète un besoin de compréhension, voire d’accompagnement, d’un phénomène en cours. Or, malgré la prolifération de thématiques, d’objets et d’acteurs étudiés, on constate actuellement que l’élu local de petite ville reste une figure bien peu étudiée par les recherches sur l’urbanisme participatif. Notre point de vue, au cœur du processus de projet, nous a permis de comprendre les opportunités et les difficultés auxquelles l’élu de petite ville et le consultant sont confrontés.

Le « Bricolage des petites villes »5 : la faible structuration des services techniques et le manque de formation des élus

La mise en œuvre de projets urbains participatifs est confrontée à divers types d’obstacles , liés notamment à une posture relativement méfiante du maire et de sa garde rapprochée (le DGS, son adjoint à l’urbanisme), à l’égard de toute disposition pouvant leur donner le sentiment qu’ils ne sont plus totalement maîtres de la décision. D’autre part, le cadre réglementaire incitatif assez large de l’article 7 de la charte de l’Environnement, qui préconise la participation des citoyens à l’élaboration des décisions qui ont une incidence sur leur cadre de vie, reste peu connu et peu appliqué. « Le bricolage des petites villes », évoqué par Hélène Mainet (2011) à propos du marketing territorial, peut s’appliquer à l’ingénierie de la concertation et du projet urbain6. Les services techniques très généralistes sont peu structurés à l’échelon communal et peu formés aux questions de participation citoyenne ou de processus de projet. Les élus de petite ville éprouvent, par ailleurs, des difficultés à élaborer leur commande vis-à-vis de leurs prestataires : identifier les compétences nécessaires selon la nature du projet et son niveau d’avancement, ou encore définir le type de mission à accorder.

>L’article complet en accès gratuit

sur la revue Sur-Mesure<

Élus de petite ville et participation citoyenne : un mandat municipal pas comme les autres

Avec l’évolution de la législation et la multiplication des initiatives citoyennes, la participation devient progressivement un passage obligatoire dans le parcours de l’élu local. Mais il l’exerce dans un contexte contemporain de crise de légitimité du politique, alors qu’il a peu été habitué à impliquer les citoyens à l’élaboration des décisions, du fait de codes de l’exercice du pouvoir très marqués par la verticalité.

La mise en place de démarches participatives suppose donc pour nombre d’élus et de techniciens de petites villes (entre 3 000 et 20 000 habitants) qui les accompagnent, d’opérer un « changement de paradigme » (Zetlaoui-Léger et al., 2015) vis-à-vis de la culture politique et professionnelle dont ils ont héritée. Or, le mandat 2014-2020 a fait l’objet d’un grand chamboulement pour les élus municipaux et en particulier ceux de petites villes peu préparés au confortement de l’échelon intercommunal.

Le mandat 2014-2020 : une épreuve pour les élus de petites villes

L’élu local est aujourd’hui confronté à des enjeux multiples (diversification et complexification des enjeux à aborder, multiplication des échelons de décision, baisses des dotations…) qui dépassent bien souvent ses compétences et les moyens dont il dispose. Dans un contexte de « petite ville »[2], l’élu local se retrouve d’autant plus déstabilisé, voire démuni, que ses moyens humains et financiers sont particulièrement réduits et souvent mis en comparaison avec ceux des plus grandes collectivités comme le décrit l’architecte Frédéric Bonnet : « des millions d’euros dépensés pour le « Grand Paris » quand il en faut à peine vingt mille pour décider de dix ans de développement d’une commune rurale ».

Notre travail de thèse[3] témoigne d’une période de transition particulièrement éprouvante durant la mandature 2014-2020.La majorité des élus municipaux ne semble pas avoir mesuré le poids de l’intercommunalité et les changements à venir : malgré leur souhait de faire vivre une démocratie de proximité et de pallier les difficultés de leur commune, le développement de l’intercommunalité conduit à réinterroger leur place.Au cours de l’année 2018, leur découragement à exercer leur mandat a fait « la une de l’actualité » : la baisse de la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) les révolte, voire amène un nombre significatif d’entre eux à ne plus souhaiter poursuivre leur charge.

En analysant des situations de projet urbain participatifs, nous avons découvert des figures d’élus plurielles face à la participation mais aussi une différence notoire entre les anciens élus et les nouvelles générations de service techniques. Malgré l’opacification de la décision, l’échelon intercommunal apparaît alors comme un levier potentiel pour permettre la mise en œuvre de dispositif participatif dans des contextes de petites villes.

Un manque de formation et beaucoup d’incertitudes

À l’échelle nationale, le sociologue Michel Koebel dénonçait, au milieu des années 2000, une certaine « Confusion des genres » chez les politiques : il citait, entre autres, Claude Allègre évoquant en 2006 la « démocratie directe » alors qu’il faisait allusion…à la retransmission télévisée du Conseil des ministres. Nous avons pu constater les mêmes approximations langagières mais aussi des décalages chez les élus locaux entre les discours et les actes.À plusieurs reprises, lors de nos entretiens, les élus ont employé des mots tels que « coproduction » ou « participation » pour des situations dans lesquelles les habitants n’ont, en fait, pas été impliqués. Les élus de petite ville rencontrés dans le cadre de nos travaux de recherche, ont intégré une dimension participative à leur projet urbain en recherchant surtout une forme de « paix sociale », ou pour répondre à des obligations réglementaires.

Bien que l’article L103-2, créé par l’ordonnance n’°2015-1174, préconise une concertation pour des projets urbains ayant une incidence sur l’environnement, la « concertation », et l’explicitation des décisions que demande l’article 120-1 du Code de l’Environnement, ne vont pas de soi. Améliorer les qualités d’usages, d’appropriation, ou mieux envisager les réponses à apporter en termes de conception ne semble pas, pour les élus locaux, des raisons suffisantes pour mettre en œuvre un dispositif participatif. Ils n’appréhendent pas la participation comme un enjeu fondamental, mais comme un « plus ». Cette situation se trouve renforcée par leur accès à la formation relativement limité[4], pour des raisons de coût, ou liées à leur faible disponibilité (60% d’entre eux exercent un métier parallèlement) mais aussi à l’image qu’ils estiment devoir renvoyer à leurs administrés, celle d’un maire « omniscient ».

Enfin, l’élu de petite ville est freiné par le rapport que le personnel politique entretient avec l’incertitude. Tous les élus que nous avons rencontrés craignent, à travers la participation, de sortir des sentiers battus et de prendre des risques d’ordre juridique ou pénal.

En effet, selon les premiers résultats d’une consultation générale organisée auprès d’élus locaux (Gatel & Kerrouche, 2018), ce type de risque figure en troisième position des difficultés qu’ils avancent le plus fréquemment pour expliquer une « crise des vocations ». En outre, les élus, notamment locaux, exercent leurs fonctions au sein d’un enchevêtrement de textes législatifs et réglementaires, sur des sujets aussi techniques que le droit de l’environnement ou des données personnelles, qu’ils sont censés maîtriser. Ainsi, l’incertitude générée par le dispositif participatif, perçue comme une source de risques, ne peut être assumée que par le maire, un adjoint ou éventuellement le Directeur Général des Services (DGS) qui incarnent le pouvoir local. Les services techniques envisagent, en effet, difficilement de les assumer à la place du politique ou de sa « garde rapprochée ». Or, à l’échelon intercommunal, l’élu municipal perd une partie de son pouvoir au profit d’une technostructure, comme l’explique ce DGS vis-à-vis du président éprouvant des difficultés à suivre les dossiers à l’échelon intercommunal : « L’élu, il ne connaît pas suffisamment ses sujets. Il est petit à petit dépossédé de son rôle : le rôle de représentation et le travail devient de plus en plus technique ». On peut alors s’interroger sur la capacité à prendre des risques et donc à innover dans ce nouveau contexte, sans la présence du responsable politique et/ou de ses proches (adjoints, DGS).

Une thèse au sein de l’Atelier du Lieu : « l’élu, le citoyen et le praticien. Chroniques urbaines. L’expérience du projet urbain participatif dans les petites villes »

Cet article fait la synthèse des principaux enseignements de la thèse soutenue le 15 janvier 2020 par Ségolène Charles, intitulée « L’élu, le citoyen et le praticien.Chroniques urbaines. L’expérience du projet urbain participatif dans les petites villes », sous la direction scientifque de Jodelle Zetlaoui-Léger et de Loïc Blondiaux ainsi que sous la direction professionnelle de Nolwenn Dulieu.

Résumé de la thèse :

Dans un contexte national de transfert des compétences à l’échelon intercommunal, de diminution de leurs ressources et d’affaiblissement de leurs prérogatives réglementaires, les élus locaux de petites villes et leurs services techniques sont confrontés à des enjeux qui dépassent bien souvent leurs compétences et les moyens dont ils disposent. Or, la mise en œuvre d’un projet urbain participatif suppose d’opérer un changement de paradigme vis-à-vis des cultures politiques et professionnelles dont ils ont hérité. Elle rend manifestement nécessaire de repenser leurs rôles et leurs modalités d’intervention.

À partir de l’expérience d’une agence d’architecture et d’urbanisme, cette thèse analyse la place et les modalités d’action de l’élu comme « Maître d’Ouvrage occasionnel » dans le cadre de projets urbains organisés avec des ambitions participatives importantes et inhabituelles pour la collectivité.

Basée sur trois études de cas, elle décrit et interprète les difficultés conjointement rencontrées par la petite ville et la structure qui l’accompagne. En s’appuyant sur une démarche de « participation observante » et sur la Théorie de la Régulation Sociale, cette recherche examine les conflits et négociations au sein du système d’acteurs du projet urbain dans lequel gravite l’élu local.

>L’article complet en accès gratuit

sur la revue Horizons Publics <