Avec l’évolution de la législation et la multiplication des initiatives citoyennes, la participation devient progressivement un passage obligatoire dans le parcours de l’élu local. Mais il l’exerce dans un contexte contemporain de crise de légitimité du politique, alors qu’il a peu été habitué à impliquer les citoyens à l’élaboration des décisions, du fait de codes de l’exercice du pouvoir très marqués par la verticalité.
La mise en place de démarches participatives suppose donc pour nombre d’élus et de techniciens de petites villes (entre 3 000 et 20 000 habitants) qui les accompagnent, d’opérer un « changement de paradigme » (Zetlaoui-Léger et al., 2015) vis-à-vis de la culture politique et professionnelle dont ils ont héritée. Or, le mandat 2014-2020 a fait l’objet d’un grand chamboulement pour les élus municipaux et en particulier ceux de petites villes peu préparés au confortement de l’échelon intercommunal.
Le mandat 2014-2020 : une épreuve pour les élus de petites villes
L’élu local est aujourd’hui confronté à des enjeux multiples (diversification et complexification des enjeux à aborder, multiplication des échelons de décision, baisses des dotations…) qui dépassent bien souvent ses compétences et les moyens dont il dispose. Dans un contexte de « petite ville »[2], l’élu local se retrouve d’autant plus déstabilisé, voire démuni, que ses moyens humains et financiers sont particulièrement réduits et souvent mis en comparaison avec ceux des plus grandes collectivités comme le décrit l’architecte Frédéric Bonnet : « des millions d’euros dépensés pour le « Grand Paris » quand il en faut à peine vingt mille pour décider de dix ans de développement d’une commune rurale ».
Notre travail de thèse[3] témoigne d’une période de transition particulièrement éprouvante durant la mandature 2014-2020.La majorité des élus municipaux ne semble pas avoir mesuré le poids de l’intercommunalité et les changements à venir : malgré leur souhait de faire vivre une démocratie de proximité et de pallier les difficultés de leur commune, le développement de l’intercommunalité conduit à réinterroger leur place.Au cours de l’année 2018, leur découragement à exercer leur mandat a fait « la une de l’actualité » : la baisse de la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) les révolte, voire amène un nombre significatif d’entre eux à ne plus souhaiter poursuivre leur charge.
En analysant des situations de projet urbain participatifs, nous avons découvert des figures d’élus plurielles face à la participation mais aussi une différence notoire entre les anciens élus et les nouvelles générations de service techniques. Malgré l’opacification de la décision, l’échelon intercommunal apparaît alors comme un levier potentiel pour permettre la mise en œuvre de dispositif participatif dans des contextes de petites villes.
Un manque de formation et beaucoup d’incertitudes
À l’échelle nationale, le sociologue Michel Koebel dénonçait, au milieu des années 2000, une certaine « Confusion des genres » chez les politiques : il citait, entre autres, Claude Allègre évoquant en 2006 la « démocratie directe » alors qu’il faisait allusion…à la retransmission télévisée du Conseil des ministres. Nous avons pu constater les mêmes approximations langagières mais aussi des décalages chez les élus locaux entre les discours et les actes.À plusieurs reprises, lors de nos entretiens, les élus ont employé des mots tels que « coproduction » ou « participation » pour des situations dans lesquelles les habitants n’ont, en fait, pas été impliqués. Les élus de petite ville rencontrés dans le cadre de nos travaux de recherche, ont intégré une dimension participative à leur projet urbain en recherchant surtout une forme de « paix sociale », ou pour répondre à des obligations réglementaires.
Bien que l’article L103-2, créé par l’ordonnance n’°2015-1174, préconise une concertation pour des projets urbains ayant une incidence sur l’environnement, la « concertation », et l’explicitation des décisions que demande l’article 120-1 du Code de l’Environnement, ne vont pas de soi. Améliorer les qualités d’usages, d’appropriation, ou mieux envisager les réponses à apporter en termes de conception ne semble pas, pour les élus locaux, des raisons suffisantes pour mettre en œuvre un dispositif participatif. Ils n’appréhendent pas la participation comme un enjeu fondamental, mais comme un « plus ». Cette situation se trouve renforcée par leur accès à la formation relativement limité[4], pour des raisons de coût, ou liées à leur faible disponibilité (60% d’entre eux exercent un métier parallèlement) mais aussi à l’image qu’ils estiment devoir renvoyer à leurs administrés, celle d’un maire « omniscient ».
Enfin, l’élu de petite ville est freiné par le rapport que le personnel politique entretient avec l’incertitude. Tous les élus que nous avons rencontrés craignent, à travers la participation, de sortir des sentiers battus et de prendre des risques d’ordre juridique ou pénal.
En effet, selon les premiers résultats d’une consultation générale organisée auprès d’élus locaux (Gatel & Kerrouche, 2018), ce type de risque figure en troisième position des difficultés qu’ils avancent le plus fréquemment pour expliquer une « crise des vocations ». En outre, les élus, notamment locaux, exercent leurs fonctions au sein d’un enchevêtrement de textes législatifs et réglementaires, sur des sujets aussi techniques que le droit de l’environnement ou des données personnelles, qu’ils sont censés maîtriser. Ainsi, l’incertitude générée par le dispositif participatif, perçue comme une source de risques, ne peut être assumée que par le maire, un adjoint ou éventuellement le Directeur Général des Services (DGS) qui incarnent le pouvoir local. Les services techniques envisagent, en effet, difficilement de les assumer à la place du politique ou de sa « garde rapprochée ». Or, à l’échelon intercommunal, l’élu municipal perd une partie de son pouvoir au profit d’une technostructure, comme l’explique ce DGS vis-à-vis du président éprouvant des difficultés à suivre les dossiers à l’échelon intercommunal : « L’élu, il ne connaît pas suffisamment ses sujets. Il est petit à petit dépossédé de son rôle : le rôle de représentation et le travail devient de plus en plus technique ». On peut alors s’interroger sur la capacité à prendre des risques et donc à innover dans ce nouveau contexte, sans la présence du responsable politique et/ou de ses proches (adjoints, DGS).
Une thèse au sein de l’Atelier du Lieu : « l’élu, le citoyen et le praticien. Chroniques urbaines. L’expérience du projet urbain participatif dans les petites villes »
Cet article fait la synthèse des principaux enseignements de la thèse soutenue le 15 janvier 2020 par Ségolène Charles, intitulée « L’élu, le citoyen et le praticien.Chroniques urbaines. L’expérience du projet urbain participatif dans les petites villes », sous la direction scientifque de Jodelle Zetlaoui-Léger et de Loïc Blondiaux ainsi que sous la direction professionnelle de Nolwenn Dulieu.
Résumé de la thèse :
Dans un contexte national de transfert des compétences à l’échelon intercommunal, de diminution de leurs ressources et d’affaiblissement de leurs prérogatives réglementaires, les élus locaux de petites villes et leurs services techniques sont confrontés à des enjeux qui dépassent bien souvent leurs compétences et les moyens dont ils disposent. Or, la mise en œuvre d’un projet urbain participatif suppose d’opérer un changement de paradigme vis-à-vis des cultures politiques et professionnelles dont ils ont hérité. Elle rend manifestement nécessaire de repenser leurs rôles et leurs modalités d’intervention.
À partir de l’expérience d’une agence d’architecture et d’urbanisme, cette thèse analyse la place et les modalités d’action de l’élu comme « Maître d’Ouvrage occasionnel » dans le cadre de projets urbains organisés avec des ambitions participatives importantes et inhabituelles pour la collectivité.
Basée sur trois études de cas, elle décrit et interprète les difficultés conjointement rencontrées par la petite ville et la structure qui l’accompagne. En s’appuyant sur une démarche de « participation observante » et sur la Théorie de la Régulation Sociale, cette recherche examine les conflits et négociations au sein du système d’acteurs du projet urbain dans lequel gravite l’élu local.
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sur la revue Horizons Publics <